La charge mentale chez les hommes : un tabou encore bien présent
En Belgique, le taux de suicide chez les hommes est 2,6 fois plus élevé que chez les femmes (21,3 pour 100 000 habitants contre 8,0).
Ce chiffre, bien réel, illustre à quel point la souffrance psychique des hommes reste sous-estimée et rarement exprimée.
Les hommes aussi portent une charge mentale.
Si elle reste silencieuse, elle peut mener au stress, au repli, voire au burn-out. Dans cet article, on parle d’un sujet souvent passé sous silence : la charge mentale masculine.
Taux de mortalité par suicide en Belgique par tranche d’âge et par sexe (2021)
Qu’est-ce que la charge mentale ?
La charge mentale désigne le poids invisible des responsabilités liées à l'organisation, la planification et l'exécution des tâches quotidiennes (Daminger, 2019). Elle implique une anticipation constante des besoins des autres et une gestion simultanée de multiples obligations.
Si ce concept est souvent abordé dans une perspective féminine, il est essentiel de reconnaître qu’il touche également les hommes — bien que sous des formes parfois différentes.
Une réalité méconnue
Les effets de la pression sociale et stéréotypes de genre
Les attentes sociétales envers les hommes sont encore fortement influencées par des stéréotypes : pourvoyeurs, piliers, garants de la sécurité matérielle. Cette pression crée une charge mentale liée à la réussite, à la performance, et à la nécessité de "tenir bon" en toute circonstance. Aujourd’hui, ces représentations sont parfois renforcées par des figures médiatiques influentes qui valorisent une masculinité dure, invulnérable, centrée sur la réussite matérielle et la domination. Des personnalités comme Andrew Tate, très suivies sur les réseaux sociaux, promeuvent un modèle masculin basé sur la force, l’indépendance absolue, et le quasi-rejet des émotions.
La solitude intérieure et la détresse invisible peuvent accompagner la charge mentale non exprimée
S’il est tout à fait légitime — et même sain — pour un homme d’être fier de ses forces ou de vouloir progresser, cela ne doit pas se faire au détriment de son humanité.
Être homme ne signifie pas devoir être invulnérable, froid ou insensible. Cette forme de fierté, quand elle empêche l’expression de la souffrance ou la demande d’aide, peut devenir une véritable prison intérieure.
Une double responsabilité : travail et famille
Beaucoup d’hommes s’impliquent aujourd’hui dans la gestion du foyer et l’éducation des enfants. Mais cette implication s’ajoute souvent à une charge professionnelle déjà lourde, sans être toujours reconnue (Harrington, Van Deusen, & Humberd, 2011). Anticiper les factures, penser à la prochaine révision de la voiture, gérer des deadlines, organiser les vacances en famille… Ces tâches pèsent, même si elles passent inaperçues.
Il est important de souligner que cette posture ne résulte pas forcément de demandes explicites de la part de leur entourage, comme leur compagne. Elle peut venir de modèles familiaux intériorisés — “mon père était comme ça, donc je dois l’être aussi” — ou d’un système social qui valorise encore largement la responsabilité silencieuse et l’abnégation masculine. Beaucoup d’hommes prennent ainsi sur eux sans même s’en rendre compte, convaincus qu’ils “doivent assurer” dans tous les domaines.
Le silence autour des émotions
Un autre facteur important est l’injonction à ne pas montrer sa vulnérabilité (Levant & Richmond, 2007). Dès l’enfance, de nombreux hommes ont appris à ne pas se plaindre, à “tenir bon”, à ne pas parler de ce qu’ils ressentent. Avec le temps, ces messages s’impriment profondément : ils façonnent une façon d’être au monde, où l’expression des émotions devient un signe de faiblesse.
Résultat : une fatigue mentale qui s’accumule, sans jamais trouver de véritable espace d’expression. On peut se sentir en colère, anxieux, triste, mais sans avoir appris à identifier ou à nommer ce qu’ils traversent. Cela peut mener à du repli, de l’irritabilité, un sentiment de solitude, ou une perte de lien avec leurs proches (Mahalik, Burns & Syzdek, 2007).
Parfois, ce sont des comportements de compensation qui s’installent : surinvestissement dans le travail, dépendances (jeux, alcool, écrans), agressivité contenue…
Tout cela est souvent le symptôme d’une détresse non verbalisée, d’un poids qu’on ne sait pas poser dans un espace sûr.
Pourquoi ce sujet reste-t-il tabou ?
La peur d’être jugé
Admettre une surcharge mentale, c’est risquer d’être perçu comme “faible” ou “pas à la hauteur”. Cela entre en conflit avec les normes viriles traditionnelles : être fort, autonome, endurant.
Un manque de représentation
Dans les médias ou les campagnes de sensibilisation, la charge mentale est majoritairement représentée comme un enjeu féminin. Les hommes qui la vivent se sentent souvent invisibles.
Une difficulté à demander de l’aide
En Belgique comme ailleurs, les hommes sont encore largement sous-représentés dans les suivis psychologiques. Beaucoup hésitent à consulter ou à exprimer leurs besoins, par crainte du jugement (Seidler & al., 2016).
Les conséquences d’une charge mentale ignorée
Une charge mentale non reconnue peut avoir des effets sérieux, sur le long terme :
Stress chronique : fatigue, irritabilité, difficulté à se concentrer
Problèmes relationnels : conflits de couple, repli émotionnel
Troubles somatiques : maux de tête, insomnies, douleurs
Burn-out : effondrement progressif, perte d’élan, perte de sens
Peut-être vous reconnaissez-vous dans cette tension constante ? Ou dans cette difficulté à “débrancher” le mental, même le week-end ?
Comment briser le tabou ?
1. Ouvrir la conversation
Il est essentiel d’ouvrir le dialogue : en couple, entre amis, ou au travail. Les hommes doivent pouvoir dire qu’ils se sentent dépassés, fatigués, perdu sans que cela soit perçu comme un échec ou une faiblesse.
Parfois, il ne s'agit pas de repartir de zéro, mais simplement d'oser s'arrêter, regarder en soi, et changer de posture.
Cela peut commencer par de petites phrases : “Je me sens un peu vidé en ce moment”, “Je crois que j’ai trop de choses en tête”, “J’ai besoin d’en parler, même si je ne sais pas trop comment.” Ce type de parole peut déjà désamorcer l’isolement intérieur.
2. Repenser les rôles
Déconstruire les rôles genrés ne veut pas dire nier ses forces, mais remettre en question ce qui nous enferme.
Un homme peut être fort, stable, organisé mais aussi avoir besoin d’aide, de repos, de soutien émotionnel.
Encourager les hommes à explorer leur propre modèle de masculinité (et pas celui transmis par défaut) permet une vie plus alignée et moins figée.
3. Représenter cette réalité
Parler de la charge mentale masculine dans les médias, les podcasts, les réseaux sociaux, ou au sein des entreprises est essentiel.
On peut partager des témoignages, des contenus éducatifs, ou tout simplement créer des espaces de parole non mixtes entre hommes pour parler de ce qui est vécu — au-delà des apparences.
4. Encourager le recours à un soutien psychologique
Consulter un psychologue ne devrait pas être un “dernier recours”. Cela peut être une façon d’apprendre à se comprendre, à identifier ses besoins, ses limites, ses automatismes.La démarche thérapeutique n’est pas une faiblesse : c’est un engagement envers soi.
5. Intégrer des temps de pause mentale dans le quotidien
Il n’est pas toujours facile de “se vider la tête” quand elle tourne en boucle. Mais de petits rituels simples peuvent faire une vraie différence :
Écrire ses pensées du jour dans un carnet (même 5 minutes)
Faire une marche sans téléphone
Identifier chaque soir une seule chose dont on est fier
Se fixer des “plages sans charge” (ex : 1h sans penser à l’organisation du lendemain)
Ce ne sont pas des solutions miracles, mais ce sont des gestes symboliques de recentrage, qui permettent de prendre un peu de distance.
6. Rendre visibles les modèles alternatifs
On peut aussi briser le tabou en mettant en lumière des figures masculines qui parlent ouvertement de leur charge mentale, de leur vulnérabilité, ou de leur choix de vie différents : pères au foyer, hommes sensibles, hommes en reconversion…
Chaque fois qu’un homme ose exprimer sa réalité intérieure, il ouvre la voie à d’autres. Et cette contagion-là peut faire beaucoup de bien !
La charge mentale chez les hommes est une réalité bien plus répandue qu’on ne le pense. Ce n’est ni une faiblesse ni un caprice : c’est une fatigue psychique qui mérite d’être entendue.
En parler, c’est déjà commencer à la soulager.
💬 Ce sujet vous parle ? Vous vous sentez concerné ? N’hésitez pas à me contacter. Je propose des consultations en ligne à travers la Belgique, dans un cadre confidentiel et bienveillant.
Bibliographie
Daminger, A. (2019). The cognitive dimension of household labor. American Sociological Review, 84(4), 609–633. https://doi.org/10.1177/0003122419859007
Harrington, B., Van Deusen, F., & Humberd, B. (2011). The new dad: Caring, committed and conflicted. Boston College Center for Work & Family. https://www.bc.edu
Levant, R. F., & Richmond, K. (2007). A review of research on masculinity ideologies using the Male Role Norms Inventory. The Journal of Men’s Studies, 15(2), 130–146. https://doi.org/10.3149/jms.1502.130
Mahalik, J. R., Burns, S. M., & Syzdek, M. (2007). Masculinity and perceived normative health behaviors as predictors of men's health behaviors. Social Science & Medicine, 64(11), 2201–2209. https://doi.org/10.1016/j.socscimed.2007.02.035
Seidler, Z. E., Dawes, A. J., Rice, S. M., Oliffe, J. L., & Dhillon, H. M. (2016). The role of masculinity in men's help-seeking for depression: A systematic review. Clinical Psychology Review, 49, 106–118. https://doi.org/10.1016/j.cpr.2016.09.002
Statbel (2021), Causes de décès — consulté en ligne : https://statbel.fgov.be/fr/themes/population/mortalite-et-esperance-de-vie/causes-de-deces#figures